• IHL - Chapitre 8

               

    IHL - Chapitre 8

     

                Ezekiel sortit du taxi en quatrième vitesse ; il était en retard. Tout ça à cause de Jack !

                A dire vrai, Jack n’avait pas grand-chose à voir dans tout ça mais depuis qu’il était parti sous le coup de la colère l’écrivain lui attribuait la faute pour tout ce qui n’allait pas. En tout cas il n’allait pas se laisser gâcher la soirée par cet énergumène. Ce soir, il rayait Jack Frost de ses pensées, c’était décidé !

     

     

    ***

     

                Est-ce qu’il allait survivre ? C’était ça un ‘chagrin d’amour’ ? Parce que si c’était le cas Jack trouvait que le terme était mal choisi. ‘Chagrin’ ça sonne petit, pas grave. On regarde un enfant qui pleurniche pour une broutille et on lui dit ‘Bah alors, c’est quoi ce chagrin ?’ mais ce trou béant qu’il ressentait dans son âme, cette impression d’avoir été arraché –de s’être arraché- à l’unique source de chaleur qu’il ait jamais connue c’était bien pire qu’un ‘chagrin’. Il avait conscience d’être un cliché ambulant en pensant ainsi mais sans Ezekiel tout avait perdu de l’intérêt : même les pires champs de bataille enneigés dans les cours de récré ne parvenaient pas à lui changer les idées et il avait déjà dû relire Frost une bonne dizaine de fois en reniflant comme un malheureux à chaque page tournée.

                Dire qu’il avait toujours envié les couples qu’il voyait se former et s’épanouir sous ses yeux. Il avait complètement occulté que l’amour pouvait apporter le meilleur comme le pire et y avait-il pire qu’un amour à sens unique ? Ah ça ! S’il avait été écrivain il en aurait aligné des belles lignes puisqu’il parait que c’est déprimé –ou défoncé- que les plus beaux textes avaient été couchés sur le papier. Jack était sûr d’une chose : sa disparition ne devait pas beaucoup affecter l’écriture d’Ezekiel en tout cas…et rien que ça c’était un crève-cœur si tant est que ce cœur pouvait être d’avantage ‘crevé’ qu’il ne l’était déjà.

     

     

    ***

     

                Il avait tellement attendu ce rendez-vous. Il avait mis plus d’une heure à se préparer (d’où le retard) et pendant le trajet il avait essayé de se rappeler du joli minois d’Audrey qui tentait de lui faire la conversation depuis une demi-heure mais Jack parasitait tellement sa mémoire qu’il y était à peine parvenu. Quand il était arrivé devant le restaurant il l’avait vue, adossée à un poteau avec son énorme écharpe en laine vert-de-gris lui couvrant la moitié du visage et son long manteau d’un rouge carmin. Aussitôt qu’elle l’avait vu, elle s’était redressée et s’était approchée d’une démarche faussement assurée. Elle lui avait adressé un immense sourire et alors que le rouge de ses joues attestait du contraire elle lui avait dit qu’elle venait d’arriver.

                « Ezekiel ? Est-ce que ça va ?

    -          Oui oui tout va bien.

    -          Je ne sais pas…vous avez l’air ailleurs ce soir…quelque chose vous tracasse ? » D’un rire creux il balaya la question et argua que les écrivains étaient souvent dans la lune. Bon sang ce que cette fille lui plaisait, c’est vrai, elle était parfaite ! Il avait voulu la revoir à la minute même où il l’avait quittée la dernière fois et maintenant que le moment était arrivé il n’arrivait même pas à aligner deux mots sans qu’elle ne soit obligée de les lui soutirer… Qu’est-ce qui clochait ?

     

    Oh bien sûr, il avait sa petite idée. Ce n’était pas parce qu’il se jurait de ne pas penser à Jack que son cerveau l’écoutait ; mais il avait pensé qu’avec Audrey en face de lui il arriverait à penser à autre chose. Il ne savait même pas ce qu’il ressentait. Il n’avait pas pris une minute pour se poser et y réfléchir. Depuis que Jack était parti il n’avait fait que lui en vouloir sans se remettre en question une petite seconde. Et c’était maintenant que sa cervelle tordue avait envie de s’y coller.

    Qu’est-ce que le départ de Jack lui avait fait ?

    Ca l’avait mis en colère. Il s’était senti abandonné. Encore. Trahi parce que Jack n’aurait pas dû partir. Ezekiel n’avait jamais demandé à ce qu’il entre dans sa vie, c’était lui, ce petit être enjoué et pourtant meurtri qui avait décidé de passer sa fenêtre. Ezekiel n’était pas sensé être triste et ressentir un manque, au contraire il devrait se réjouir d’avoir retrouvé sa tranquillité. Et puis merde Jack n’aurait même pas dû partir, il avait besoin d’Ezekiel, c’était la seule personne à qui il pouvait parler qu’est-ce qu’il allait faire tout seul hein ? Ce qu’il avait toujours fait lui rappelait ce fichu cerveau il s’en sortait très bien avant de te connaître. Qu’est-ce que tu lui as apporté à part tes sautes d’humeur et tes piques moqueuses ? Et c’était vrai. Ezekiel ne comprenait même pas comment Jack avait pu le supporter aussi longtemps. Il faisait comme si c’était lui qui ne supportait pas la présence de l’elfe mais c’était lui qui était le moins supportable des deux. Même si Jack était trop tout : trop enjoué, trop blagueur, trop insouciant, trop indulgent, trop enfant trop…attachant, et bien il avait au moins le mérite d’irradier de bonheur et de donner le sourire à tous ceux qu’il pouvait approcher même si ces derniers ne s’en rendaient pas forcément compte.

    Un soupir lui échappa.

    « On peut remettre ça à un autre soir si vous voulez ? Il observa le visage de poupée qui lui faisait face d’un air désolé.

    -          Je crois que vous avez raison, je ne suis pas dans mon assiette aujourd’hui. » Avec indulgence elle lui dit que ce n’était pas grave, que ça arrivait à tout le monde et ils demandèrent l’addition avant d’avoir commandé desserts ou cafés.

     

    Alors qu’elle traversait la rue le regard du brun se posa sur la silhouette longiligne engoncée de rouge qui s’éloignait et il crut revoir sa mère pendant quelques secondes. Elle aussi avait un long manteau rouge quand il était enfant, il adorait ce manteau et sa mère disait qu’en hiver, quand le froid et la morosité s’installaient et que tout devenait gris il fallait porter des couleurs vives pour rehausser l’humeur. Bizarrement ça ne semblât pas fonctionner cette fois. Peut-être qu’il fallait un peu plus que des couleurs chatoyantes pour qu’un adulte retrouve un semblant de bonne humeur…

     

    ***

     

    C’était un comble pour quelqu’un qui avait toujours été trop seul de chercher à s’isoler du monde mais franchement Jack ne voulait plus voir personne. Ou plutôt il ne voulait voir qu’une seule personne et s’il ne pouvait pas et bien il préférait autant ne voir personne du tout. De toute façon personne n’avait envie de l’avoir dans les parages non plus, depuis bientôt une semaine qu’il avait quitté Londres il avait tendance à déclencher de violents orages neigeux accompagnés de fortes bourrasques.

     

    Son naturel impatient et curieux avait fini par prendre le dessus et il y était retourné…il était arrivé à Londres en pensant qu’il n’arriverait sans doute même pas à retrouver Ezekiel dans une si grande ville mais il s’était trompé. Il avait presque su instinctivement où chercher et son regard avait croisé la scène qu’il voulait à tout prix éviter : l’écrivain sortant d’un restaurant romantique avec la fameuse Audrey…il ne lui en avait pas fallu plus pour se décider à repartir aussi vite qu’il était arrivé.

    Ezekiel n’était visiblement pas très perturbé par sa disparition. En même temps ce n’était pas comme si Jack ne s’y était pas attendu. Il le savait. Mais il avait quand même espéré comme un imbécile…espéré apercevoir un Ezekiel aussi abattu que lui, déprimant dans sa chambre, fumant cigarette sur cigarette et tapant compulsivement sur le clavier de son ordinateur pour décharger sa peine…quel idiot il avait été de s’imaginer que c’était possible…

     

     

    ***

     

    En réalité la soi-disant profusion des écrivains moroses ne devait pas concerner tout le monde parce que ça faisait des jours qu’Ezekiel n’avait pas écrit le moindre mot. A chaque fois il s’asseyait devant son écran et…le néant. Will était passé le voir plusieurs fois. Il avait bien vu que quelque chose n’allait pas mais il avait eu beau se démener il avait été incapable de savoir quoi.

    « Je m’inquiète beaucoup pour toi Zek…

    -          Dis plutôt que tu t’inquiètes pour mon livre qui n’avance pas ! Un rire léger échappa au blond qui continua :

    -         Aussi oui, mais surtout pour toi. Avant d’être ton agent je suis ton ami. Tu sais quoi ? Tu devrais prendre quelques jours, rentre à Oxford ça te fera sans doute du bien. L’air londonien n’a pas l’air de te réussir ! »

    Le visage impassible, Ezekiel réfléchit à la proposition. Il repensa à sa ville natale, à tout ce qu’elle représentait pour lui : les souvenirs de sa mère, ses grands-parents qui l’attendaient et même…la première fois qu’il avait vu Jack Frost. L’esprit ailleurs il marmonna : « Oui…je crois que je vais faire ça. »

     

    Le sourire de sa grand-mère l’accueilli à l’arrêt de bus, elle s’empressa de serrer son petit-fils dans ses bras tandis que son mari beaucoup moins démonstratif se contenta de le délester d’une valise en les observant. Mary et Isaac Grant étaient la seule famille qu’il restait à Ezekiel et l’inverse était vrai aussi. Ils avaient toujours été proches et c’était devenu encore plus vrai quand Katharine, la mère d’Ezekiel, était morte bientôt dix ans plus tôt.

                L’écrivain fut envahi d’une grande nostalgie quand, poussant la porte de la maison où il avait vécu pendant longtemps, il retrouva la chaleur caractéristique du feu de cheminée et l’odeur des biscuits encore tièdes posés sur la table de la cuisine. Cette maison avait été le témoin de quelques-uns des plus beaux souvenirs de sa vie même si ceux-ci étaient souvent douloureux à présent qu’il se les remémorait en l’absence de sa mère. Théoriquement il ne vivait plus ici. Après l’accident il avait préféré se trouver un endroit moins hanté par la présence de Katharine. Il était cependant resté sur Oxford, ne pouvant pas s’éloigner des seules personnes qui lui restaient.

               

                Mary n’arrêtait pas de lui jeter des coups d’œil inquiets. Déjà quand il avait appelé en demandant s’il pouvait dormir chez eux pendant quelques jours elle s’était dit que quelque chose n’était pas normal. Et même si on ne pouvait pas dire qu’Ezekiel était du genre facile à déchiffrer elle savait très bien déceler ce genre de chose ; elle avait des années de pratique derrière elle avec un énergumène comme son mari. Il était ce qu’on faisait de pire en matière d’introversion et d’impassivité apparente. Elle ne s’était d’ailleurs jamais demandé d’où venait ce trait de caractère chez son petit-fils !

                « Alors, ce séjour à Londres ?  demanda-t-elle l’air de rien.

    -          C’était…bien. La routine tu sais, signer des autographes etc…

    -          Et tu as écrit ces derniers temps ? Elle perçu un léger retroussement des lèvres, il était contrarié.

    -          Un peu. Il se frotta la joue. Il faisait toujours ça quand il n’était pas à l’aise où qu’il mentait.

    -          Panne d’inspiration c’est ça ? Il soupira tout en se demandant comment elle faisait pour lire aussi bien en lui. Puis son regard se posa sur son grand-père qui lisait un bouquin l’air de rien tout en écoutant leur conversation. Avec un mari comme ça, elle avait bien dû trouver des parades après tout…même lui avait du mal avec ce grand-père de qui il tenait pourtant beaucoup.

    -          C’est vrai que j’ai un peu de mal en ce moment.

    -          Mais il y a autre chose.

    -          Mais non pourquoi tu dis ça ?

    -          Ezekiel James Grant on ne me la fait pas à moi, je te connais par cœur !

    -          Oui, trop même… soupira le plus jeune de dépit. C’était toujours dans ces moments-là qu’Isaac daignait intervenir et il ne dérogea pas à la règle :

    -          Mary, laisse-le donc tranquille ! Il vient ici pour se ressourcer un peu, pas pour se confronter à la gestapo ! » Et c’était toujours dans ces moments-là qu’Ezekiel les laissait finir la conversation entre eux tout en remerciant mentalement son grand-père.

    Sans perdre un instant –il ne fallait surtout pas attendre qu’ils aient fini où elle reviendrait à la charge- il renfila son manteau et sortit tout en lançant un bref : « Je vais faire un tour ! » à l’attention de ses grands-parents. Et sitôt le seuil passé son regard tomba sur la place du village, celle qui lui paraissait si grande quand il était encore un enfant, celle où il jouait au foot avec les copains jusqu’à ce que sa mère passe sa tête dans l’encadrement et lui crie que le repas était prêt, celle où il s’était écorché les genoux de nombreuses fois et où il avait fumé sa première cigarette, peut-être même bu sa première bière un peu à l’écart pour échapper au regard de sa famille et surtout…celle où il l’avait vu lui, Jack Frost. Si désespéré que ça lui en ait fait mal au cœur pour lui, que ça l’avait fasciné et un peu effrayé. S’il n’avait pas vu cette scène se dérouler sous ses yeux il y avait si longtemps sa vie serait bien différente. Est-ce qu’il serait devenu écrivain ? Aurait-il pu écrire un best-seller sur un autre sujet que Jack Frost ?

    Il se rendait compte que Jack avait presque toujours fait partie de sa vie. Avant même qu’il ne l’aperçoive ce fameux jour sur cette fameuse place sa mère lui en parlait déjà. Puis il l’avait vu. Puis sa mère était morte. Et en rangeant son manteau rouge vif dans un carton il avait repensé à ce jour là, à la peine qu’il avait lu sur le visage de Jack. Elle faisait écho à la sienne à ce moment là. Et il avait commencé à écrire. Il ne s’était pratiquement pas arrêté avant d’avoir fini le roman. Il avait épuisé son inspiration mais aussi sa peine et sa rancœur, Frost avait été une véritable thérapie et il ignorait comment il aurait fait s’il n’avait pas eu l’écriture. Il s’en serait remis sans doute mais beaucoup plus lentement et en souffrant d’avantage. Même si de toute manière on ne se remettait jamais vraiment de la mort de quelqu’un qu’on aime.

     

    Où était Jack en ce moment ? Est-ce qu’il pensait à lui ? Est-ce qu’il réussissait à faire comme avant ? Parce qu’Ezekiel lui n’y arrivait pas. Il aurait tout donné pour que Jack revienne, il avait tellement de choses à lui dire…

     

    FIN DU CHAPITRE

     Hello les loulous ! Désolée de vous avoir laissé pendant deux semaines. J'ai attaqué un nouveau boulot (enfin, disons un boulot tout court quoi) et le soir j'avais juste envie de me jeter sous la couette x)
    Je suis toujours aussi contente de retrouver Jack et Ezekiel en tout cas, je dirais même qu'ils m'avaient manquée ^^
    J'espère qu'à vous aussi ils vous avaient manqués !

    Biz !

     

     

    IHL - Chapitre 8


  • Commentaires

    1
    Vendredi 20 Septembre 2013 à 04:39

    Coucou Ariel !
    Contente de te retrouver.
    Jack et Ezekiel m'avaient manqués à moi aussi.
    Pauvre petit Jack au coeur brisé, j'ai eu de la peine pour lui. Mais je compte sur toi pour prendre soin de lui ^^
    Je suis impatiente de lire la suite comme d'hab.
    Merci pour ce chapitre.
    Bises

    2
    Mercredi 25 Septembre 2013 à 04:15
    Founa

    Ne nous oublie pas trop on se meurt d'attendre la suite ;)

    3
    Mercredi 25 Septembre 2013 à 20:34

    Ven : Bien sûr que je prends soin de Jack *prend son pauvre bébé dans ses bras* merci!

    Founa : bah ne meurt pas trop vite ça serait dommage de ne pas connaître la fin de l'histoire, rien qu'à cause de ça ton âme serait condamnée à errer sur Terre pour toujouuuuuurs*voix effrayante d'outre-tombe*. Merci de ton passage !

    4
    Founa
    Vendredi 27 Septembre 2013 à 17:12

    tu sais ce qu'il te reste a faire :P

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